Réacteur à sels fondus

Les réacteurs nucléaires à sels fondus (RSF) ont tout d’abord été développés en 1954, par l’armée de l’air américaine pour un prototype d’avion à propulsion nucléaire. Un réacteur à sels fondus de 2,5 MWth, l’Aircraft Reactor Experiment, a ainsi été testé au sol pendant une centaine d’heures.

Les RSF ont été testés en laboratoire pour un usage civil durant les années 1960 aux Etats-Unis puis en Allemagne, avant d’être abandonnés au milieu des années 1970 du fait de la concurrence d’autres modèles moins coûteux à développer. Ce choix intervient malgré les caractéristiques très prometteuses des RSF : risque d’accident nucléaire réduit, production de déchets radioactifs réduite, possibilité de recycler ces derniers en combustible… Aussi, à partir des années 2000, dans le cadre du Forum international Génération IV visant à aider au développement de nouvelles technologies nucléaires pour l’avenir, en se basant sur les retours d’expérience des modèles précédents, ils ont connu un retour en grâce [1].

Dans ce type de réacteur, le combustible nucléaire est conservé sous forme liquide, dissous dans du sel fondu (par exemple, le fluorure de lithium ou le fluorure de béryllium). Ce dernier joue à la fois le rôle de caloporteur et de barrière de confinement. La chaleur nécessaire à la fonte du sel (600−900 °C) est transmise à un circuit secondaire, contenant généralement lui aussi un autre sel fondu. Un troisième circuit permet la conversion de cette chaleur en électricité.

Une pompe fait circuler le combustible liquide à pression atmosphérique, ce qui permet d’avoir recours à une plomberie plus simple et moins chère et enceinte de confinement moins encombrante. Il faudra toutefois prévoir une importante barrière, probablement en béton, afin de protéger le réacteur contre les agressions externes.

Les modèles de RSF étudiés fonctionnent grâce à un combustible au thorium et à l’uranium-233 ce qui leur confère la capacité d’être surgénérateurs. La possibilité d’utiliser du thorium n’est pas anodine : ce dernier est très dense en énergie (1kg de thorium est l’équivalent de 200 kg d’uranium, ou 3,5 millions de kilos de charbon [2]) et 4 fois plus abondant que l’uranium sur terre. Aussi, on estime que les réserves connues pourraient subvenir aux besoins énergétiques de la planète pendant 10 000 ans !

Les gaz produits par la réaction nucléaire se séparent du combustible liquide d’eux-mêmes, et sont aisément captés. Cela permet de retirer la moitié des produits de fission, qui constituent les principaux déchets radioactifs. Cela inclut notamment le Zénon, qui a pour caractéristique d’absorber beaucoup de neutrons, ce qui permet de renforcer l’efficacité du réacteur [3].

Plus largement, le combustible liquide est filtré en permanence à l’exception des actinides mineurs, qui restent dans le cœur jusqu’à ce qu’ils fissionnent à leur tour et soient donc totalement « brûlés ».

Outre le fait que ces déchets soient largement réutilisés comme combustible, ce procédé permet d’éliminer les déchets longue vie : Plus de 80 % des produits de fission d’un RSF à thorium sont stables en dix ans, et les moins de 20 % restants se désintègrent généralement à des niveaux naturels en 300 ans environ, contre les 10.000 ans des déchets de réacteurs à combustible solide conventionnels [4].

En matière de sécurité, un RSF permettrait d’éliminer les principaux dangers des réacteurs classiques. La crainte majeure quand il s’agit de nucléaire est une réaction en chaîne qui provoquerait la fusion du réacteur – comme ce fut le cas à Tchernobyl et Fukushima. Le fonctionnement d’un réacteur à sels fondus permet d’éviter un emballement qui pourrait causer une fusion : la chaleur fait se dilater le combustible liquide, réduisant la masse de sel dans le réacteur et donc la réaction de fission. A contrario, si le réacteur refroidit, le liquide se contracte, ce qui augmente la masse de sel dans le cœur et la réaction accélère. Ce mécanisme de contre-réaction qui permet de stabiliser la fission, et écarte le besoin de barres de contrôle contrairement aux autres filières.

En outre, pour prévenir tout dysfonctionnement, une section de canalisation sous le cœur est activement refroidie pour produire un bouchon de sel congelé. En cas de dépassement des limites de température ou de perte de courant électrique, le bouchon fond et le contenu du réacteur se déverse du fait de la gravité des réservoirs de vidange réfrigérés, ce qui arrête la réaction en chaîne [5].

En plus de ces caractéristiques rendant les RSF plus sûrs, ils présentent plusieurs avantages [6] :

  • Du fait de leur température de fonctionnement élevée, ils offrent un rendement accru ;
  • Ils peuvent fonctionner sous pression atmosphérique normale, ce qui les rends moins cher à construire ;
  • Le combustible utilisé est peu coûteux ne nécessitant pas de processus de fabrication ;
  • Ils produisent moins de déchets que les réacteurs classiques, et éliminent les déchets de longue durée ;
  • Ils offrent une grande flexibilité dans la taille du cœur ou encore sa puissance ;
  • Un RSF peut tourner en continu, sans pause de rechargement de combustible ;
  • En cas d’accident grave, les dispersions de radioactivité seraient moins importantes du fait du traitement en continu du combustible liquide. Par ailleurs, dès que le sel se retrouve en contact avec l’air il se solidifie en surface ce qui confine les radioéléments.

Malgré ces qualités, ces réacteurs sont encore à un stade de recherche, et de nombreux problèmes techniques restent à résoudre. En particulier développer des matériaux capables de résister durablement à la corrosion, à la haute température (650°C) et à l’irradiation plus importante dans le cœur du réacteur.  De plus, différents procédés doivent être perfectionnés, en particulier l’extraction en ligne des produits de fission, ainsi que les procédés de retraitement. Il faudra plus largement développer toute une filière industrielle nouvelle (traitement des déchets, production et conservation des combustibles…).

La recherche autour de la technologie des RSF en vue de développer une filière s’accélère dans de nombreux pays [7]. Des recherches sont ainsi menées en France par le CNRS en liaison avec le CEA et Framatome. Plus largement, l’Union européenne a lancé le projet SAMOFAR (Safety Assessment of the Molten Salt Fast Reactor, soit « évaluation de sécurité du réacteur rapide à sels fondus »). Des projets de recherche sont également en cours aux Etats-Unis, au Canada, en Norvège et en Russie. En outre, un nombre conséquent de start-ups (États-Unis, Royaume-Uni, Canada) se développent pour proposer diverses variantes de RSF.

Mais le pays qui semble le plus avancé dans ce domaine est la Chine. Le pays a lancé la construction d’un MSFR (Molten Salt Fast Reactor ou Réacteur à neutrons rapides et sels fondus) dans la ville de Wuwei censé être opérationnel d’ici 2030.  Deux autres filières sont prometteuses dans ce domaine : le réacteur uranium-chlorure en neutrons rapides, sélectionnée par le CEA et Terra Power, et les réacteurs à sels séparés de Moltex Energy, qui affichent des coûts compétitifs avec le charbon mais n’ont pas le même avantage en cycle du combustible que les précédents.