Réacteur à neutrons rapides au sodium

Les réacteurs à neutrons rapides au sodium : une technologie expérimentale pour répondre aux enjeux énergétiques

Les réacteurs à neutrons rapides au sodium (RNR-Na, ici RNR) couvrent une variété de réacteurs pour la plupart expérimentaux qui ont cherché à dépasser les principaux inconvénients des centrales actuelles (les accidents potentiels, la gestion des déchets radioactifs à longue durée de vie, ou encore l’épuisement des réserves d’uranium). 19 réacteurs sodium de conception divers ont été testés entre 1951 et 2013, notamment en Allemagne, en Chine, aux États-Unis, en Russie, en France, en Inde, au Japon et au Royaume-Uni. Les modèles de RNR refroidis au sodium ont connu le plus de succès, plus de 400 années‑réacteur d’expérience [1].

La France a construit le premier réacteur à neutrons rapides ayant fourni de l’électricité à échelle industrielle : le Superphénix. Ce modèle de réacteur a toutefois été abandonné en 1997, malgré les plaintes de nombreux experts qui estimaient que cela avait lieu pour des raisons plus politiques que techniques [2]. Ces réacteurs, hautement innovateurs ont également souffert de problèmes technologiques et de la concurrence d’un pétrole bon marché [3].

Leur nom vient du fait que les neutrons qui réagissent lors la réaction nucléaire dans le cœur du réacteur ne sont pas ralentis par un modérateur (habituellement de l’eau pressurisée ou de l’eau lourde). Contrairement aux modèles à neutrons lents, qui n’utilisent qu’une partie très réduite de l’uranium naturel et limitent le recyclage du plutonium, les RNR produisent davantage de noyaux fissiles qu’il n’en est consommé lors de la réaction (on parle alors de surgénération).

Avec la surgénération, le combustible (la plupart du temps, de l’uranium-235 ou du plutonium enrichi à 15 ou 20 %) devient quasiment inépuisable. Il s’agit d’une situation comparable à un moteur qui générerait plus de carburant qu’il n’en consomme. On estime qu’il serait possible extraire entre 50 et 80 fois plus d’énergie qu’avec des réacteurs ordinaires utilisant des neutrons lents [4].

Autrement, le RNR fonctionne comme un réacteur nucléaire classique : la fission génère de la chaleur transportée dans un circuit primaire, qui est transformée en vapeur d’eau, elle-même transportée dans un circuit secondaire jusqu’à un turbogénérateur pour produire de l’électricité.

La séparation de ces circuits est d’autant plus importante que le fluide caloporteur est le sodium. Ce un métal liquide offre l’avantage de très peu capturer les neutrons, d’avoir une conductivité thermique élevée – 141 W/(m⋅K) contre 0,6 W/(m⋅K) pour l’eau – et un point de fusion bas (97,80 °C). En outre, le sodium n’a pas besoin d’être maintenu sous pression dans la tuyauterie du circuit primaire comme sa température d’ébullition est très supérieure à la température de fonctionnement du réacteur.

Le sodium présente des enjeux de sécurité : sous forme liquide peut s’enflammer au contact de l’air et engendrer une explosion au contact de l’eau. Aussi, il est nécessaire de prendre des précautions pour éviter des réactions qui pourraient causer un incident grave dans le réacteur :

L’installation d’un circuit second de refroidissement qui permet d’éliminer la possibilité de contact entre le sodium primaire, et l’eau du circuit secondaire ;
Il est crucial de réaliser des mesures régulières afin de détecter d’éventuelles traces de dihydrogène dans le sodium, pour éviter toute fuite venant des tubes du générateur de vapeur ;
Il en est de même pour la surveillance méticuleuse visant à prévenir les risques de fissures sur les canalisations du circuit secondaire ainsi la présence de sodium au contact dans les tuyauteries ;
Le circuit primaire doit être entouré d’azote en non d’air, pour éviter une réaction en chaîne en cas de rupture de la tuyauterie.
Ces précautions semblent suffisantes, comme l’a montré un surgénérateur comme Phénix, qui a fonctionné 40 ans sans accident avant d’être arrêté en 2011.

Malgré ces contraintes, les RNR repentent un certain nombre d’avantages :

La quantité de sodium fondu permet d’évacuer la puissance thermique résiduelle de manière passive plus sereinement que sur un REP.
Ils sont brûleurs de déchets et détruisent les déchets radioactifs à très long temps de vie. Des déchets d’une durée de vie moyenne restent, c’est-à-dire dont la radioactivité chuterait à un niveau inoffensif en quelques centaines d’années, seraient quand même produits ;
Ils peuvent fonctionner avec une variété de carburants, dont l’uranium-238, 140 fois plus abondant que l’uranium-235 ;
L’uranium appauvri et l’uranium provenant du retraitement, suffiraient pour faire fonctionner pendant plusieurs milliers d’années la filière en se passant totalement d’uranium naturel.
Les RNR en développement sont généralement des réacteurs de quatrième génération. A ce titre, ils sont aujourd’hui principalement des prototypes expérimentaux.Des pays, dont la France, le Japon, la Russie et l’Inde notamment continuent des recherches sur cette filière. De fait, la plupart des concepts de réacteurs de quatrième génération envisagés à l’horizon 2040 seraient à neutrons rapides.

La Russie, qui n’a jamais abandonné cette filière après le BN-600, opérationnel depuis 1985, a développé un modèle de RNR nouvelle génération de 885 MW (le BN-800) sur son site de Beloïarsk, qui a été connecté au réseau en octobre 2016.

En Chine a développé le CEFR (pour China Experimental Fast Reactor), qui produit de l’électricité depuis 2014, et en Inde, à Kalpakkam, un Prototype Fast Breeder Reactor est en construction pour remplacer un modèle expérimental, lui aussi inauguré en 1985.

D’autres pays ont abandonné la filière, comme le Japon, qui après l’accident de Fukushima a définitivement arrêté le prototype de surgénérateur rapide Monju et engagé son démantèlement en 2016. Mais il s’agit d’une décision liée à la volonté de sortir du nucléaire, et non d’un défaut de fonctionnement de ce modèle.

ASTRID

ASTRID (Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration) était un projet français de démonstrateur industriel de réacteur à neutrons rapides refroidi au sodium quatrième génération. Disposant d’un meilleur rendement que le parc nucléaire actuel, il avait également pour vocation de démontrer la capacité à gérer de façon durable les déchets hautement radioactifs en réutilisant le combustible usé provenant du parc actuel. En raison de l’importance de l’investissement nécessaire à son développement, de blocages politiques et de questions entourant sa rentabilité de réemploi des combustibles usés par rapport à leur stockage, le projet a été abandonné en 2019. Et ce malgré une levée de bouclier d’une partie de la communauté scientifique [5].