Nucléaire français : la maitrise retrouvée d’un outil industriel stratégique

Nous nous sommes beaucoup interrogés sur la pertinence d’exprimer un énième avis, rajouter des éléments de controverses ou de complexité au débat sur la Proposition de loi portant programmation nationale pour l’énergie et le climat pour les années 2025 à 2035, la (contre) proposition de loi Gremillet, la PPE3 par décret, etc. Si beaucoup de choses pourraient être dites, nous tenons à souligner avant tout un fait essentiel, sorte de pilier : EDF retrouve progressivement la maitrise de l’un de ces principaux outils industriels, son parc nucléaire.

La disponibilité du parc est en phase d’être rétablie, affichant un niveau en forte hausse et dépassant d’ores et déjà les niveaux pré-covid, ce qui démontre une maîtrise évidente (puisque répétée, maintenue, et multi-sites) des arrêts de tranche, qu’ils soient pour maintenance, rechargement ou décennale.

C’est un indicateur majeur, même si évidemment pas le seul, de la confiance qui peut être accordée aux différentes visions de l’avenir du parc nucléaire français, du rôle qu’on lui donne et de la capacité de la filière nucléaire française à répondre aux attentes qui lui sont exprimées.

Quant au fait que ces attentes puissent être la traduction d’un besoin qui ne peut être que croissant d’électricité à l’échelle européenne, cela nous paraît évident [1]. Notre consommation sera élevée, et celle de notre plus grand voisin, fervent amateur d’importations d’électricité nucléaire française, aussi.

Les fondamentaux justifiant un volet nucléaire ambitieux pour cette loi nous semblent donc acquis :

1. Capacité à faire

2. Besoin que ce soit fait.

L’équipe des Voix

On dit souvent que les trains qui arrivent à l’heure n’intéressent personne. La même chose peut être dite des réacteurs nucléaires. Cela dit, contrairement aux trains, la réputation de retards dans le nucléaire était malheureusement fondée sur des faits statistiques. Mais l’est-elle toujours ? Car depuis quelque temps, une nouvelle tendance se dessine.

Le paramètre le plus important pour exprimer la fiabilité d’une installation de production d’électricité est le coefficient de disponibilité (Kd). Celui-ci correspond au pourcentage théorique de fonctionnement possible à pleine puissance.

De manière générale, le coefficient de disponibilité des réacteurs nucléaire est très élevé, avec une moyenne mondiale aux alentours de 82 %, dépassant 90 % dans certains pays (Allemagne, USA ou Finlande)[2]

Jusqu’en 2015, la France se situait dans la moyenne, avec un Kd variant aux alentours de 80 %. Cependant, en raison de la réalisation des travaux du Grand Carénage et des améliorations post-Fukushima, celui-ci a commencé à décliner à partir de 2016 jusqu’à 72 % avant que la crise de la corrosion sous contrainte ne vienne le faire tomber à un niveau historiquement bas de 58 %.

À cette chute du Kd du parc français est venu s’ajouter une accumulation de retard sur les périodes de maintenance annoncées. Fin 2019, le redémarrage d’un réacteur à la date prévue était devenu une exception, signe d’une maitrise industrielle en berne. 

Disponibilité du parc prévue au 01-01-2019 (ligne jaune)
Disponibilité effective sur la même période (ligne bleue)
Production (en vert) janvier 2019 – mars 2020

Consciente de ces déficiences, EDF a lancé en 2019 un programme interne pour retrouver la maitrise industrielle de ses arrêts.

Son nom ? START2025.

Il était urgent d’agir, car la tenue de ces plannings est primordiale pour garantir la sécurité d’approvisionnement durant les mois d’hiver où la consommation est la plus élevée.

Et maintenant que le déploiement généralisé de ce programme à tout le parc est en cours de finalisation, force est de constater qu’il a eu des effets appréciables :

  • Sur le dernier trimestre 2024, la disponibilité du parc était systématiquement conforme à celle annoncée au mois de janvier précédent, ce qui n’était plus arrivé depuis au moins 10 ans.
  • Une production maximale de 56 GW lors de l’épisode de froid de la mi-janvier, un niveau plus atteint depuis janvier 2019.
  • De plus en plus d’arrêts finissent à l’heure, voire avec de l’avance, avec des performances parfois très impressionnantes, comme Nogent-2 qui a terminé sa visite partielle de 2024, initialement prévue pour durer 100 jours, avec près d’un mois d’avance.

Depuis, les retours en avance se sont succédé : Dampierre-4 qui a terminé sa VD4 avec 3 semaines d’avance en 161 jours (record actuel sur le parc), Paluel-3, premier redémarrage de 2025, 10 jours d’avance, Cruas-3, première VD4 du site (avec remplacement des générateurs de vapeur), 2 semaines d’avance, Blayais-2, 6 jours d’avance, Dampierre-2, 10 jours d’avance.

En 2024, la disponibilité du parc avait déjà dépassé celle de 2019 (74,15 % vs 74 %), permettant à la production de dépasser les projections, peut-être excessivement pessimistes, de la PPE3 avec 10 ans d’avance. L’objectif d’un retour à 400 TWh/an semble désormais plus atteignable que jamais. À moins que le facteur limitant ne soit le manque de consommation et la concurrence des autres moyens de production bas-carbone, car le coefficient d’utilisation du parc, lui, suit une tendance baissière depuis 20 ans.

La courbe bleue est surestimée de 1,65 GW avant le 18 décembre en raison de la manière dont sont pris en compte les REMIT (si rien n’est publié, la tranche est considérée par défaut disponible à 100%). Le 18 décembre correspond à la première publication de REMIT pour l’EPR de Flamanville[3]. 

La période étudiée ici s’étend du dernier trimestre 2024 à février 2025 à dessein : L’hiver est une période de forte consommation et de faible production de solaire. Par conséquent, c’est l’hiver que le parc nucléaire est le plus sollicité et la période lors de laquelle sa disponibilité est la plus critique.

L’enchaînement des redémarrages des réacteurs à l’heure et en avance cet hiver dessine donc une tendance très positive qui reste néanmoins à confirmer sur le long terme.  Cette tendance démontre une reprise en main par l’électricien EDF de son outil industriel. C’est un signe très encourageant qui illustre une reprise de confiance nationale envers l’énergie nucléaire. 

L’hiver prochain sera ainsi le test ultime. Si la disponibilité du parc atteignait les 58 GW sur plus d’un mois, cela signerait un véritable « retour à la normale » au taux de disponibilité de la période pré-grand carénage. 

 

[1] Nous nous attacherons néanmoins à le vérifier et à en faire la démonstration avec rigueur, en soutenant nos camarades de l’Institut TerraWater et leur publication à venir prochainement du scénario TerraWater France v2.0 et du scénario TerraWater Allemagne v1.0.

[2] https://pris.iaea.org/pris/worldstatistics/threeyrsenergyavailabilityfactor.aspx

[3] De façon plus générale, les publications REMIT tendent à sous-estimer la disponibilité du parc, car elles considèrent une tranche comme non disponible lorsque celle-ci est mise à l’arrêt en période de faible demande pour économiser du combustible.