Prise de parole des Voix au débat public de Lyon

Discours de Myrto Tripathi – Des incertitudes qui pèsent sur un avenir sans nouveau nucléaire.

Le jeudi 2 février a eu lieu la huitième rencontre organisée par la Commission du débat public sur les nouveaux réacteurs nucléaires et le projet Penly. La présidente de l’association a pu y prendre la parole au nom des Voix.

Rappels sur le contexte :

Ce débat national débuté en octobre 2022 porte sur le projet de construction de 6 nouveaux réacteurs EPR2 en France métropolitaine, dont les deux premiers seraient construits sur le site de Penly en Normandie.

Par l’organisation de ce débat, et conformément à son mandat, la Commission nationale du débat public donne l’opportunité à toute personne résidant en France de s’exprimer sur chacun des sujets abordés et de confronter leur vision du futur énergétique de la France. Cela passe notamment par l’organisation de 10 réunions publiques dans différentes villes, chacune dédiée à un thème particulier. Trois modalités de participation sont offertes ; en présentiel, en ligne, ou par une contribution écrite.

Des mots de la CNDP :

« La poursuite du projet dépendra des enseignements du débat public et de la décision post-débat d’EDF, celle-ci devant s’inscrire dans le cadre de la loi de programmation énergie-climat dont le vote est prévu en 2023. »

PRISE DE PAROLE DES VOIX AU DÉBAT PUBLIC DE LYON

Les Voix accordent de l’importance à ce débat national, et y voient l’opportunité de mener une discussion argumentée et sereine avec toutes les parties prenantes, afin d’arriver à des conclusions basées sur des faits scientifiques et un raisonnement rationnel.

Comme à Lille quelques jours avant, la réunion publique a été fortement perturbée et le débat finalement empêché par des militants antinucléaires. Venus non pas pour s’exprimer, mais pour s’assurer que les autres ne s’expriment pas. Pour empêcher le débat, empêcher les personnes ayant fait le déplacement de s’exprimer, d’échanger, de recevoir les informations. Faire taire, en somme, tout ce qui existe en dehors de leur opinion.

Nous condamnons leur volonté anti-démocratique d’empêcher les débats. Nous regrettons par ailleurs que la CNDP n’ait pas dénoncé fermement l’intrusion à Lille, et n’ait pas voulu prendre des mesures pour prévenir les débordements à Lyon.

Ces tentatives d’intimidation ne nous auront pas empêchées de nous exprimer. Le fond sonore de la vidéo rend compte des conditions dans lesquelles cette prise de parole a eu lieu :

« Je tiens avant tout à remercier l’équipe du débat public de permettre à une expression citoyenne, favorable au nucléaire, de s’exprimer en tribune. Nous représentons, après tout, la majorité des Français.

Nous tenons à bénéficier des avantages que confèrent l’énergie nucléaire aux citoyens que nous sommes. Nous serons donc attentifs à ce que les conditions dans lesquelles EDF et la filière mènent les projets soient bonnes. Projets dont nous sommes les décideurs et eux les exécutants puisqu’il s’agit d’une mission de service public. Mais nous serons aussi attentifs à ce que la réalisation de ces projets le soit le tout autant. 

C’est la première fois que nous disposons de temps de parole officiel, vous excuserez donc l’efficacité de mon propos.

La transition énergétique consiste à remplacer 90% des énergies, fossiles et biomasse, sur lesquelles nous nous appuyons à l’échelle planétaire, et à 75% à l’échelle nationale. On ne doit pas remplacer ces énergies carbonées parce qu’il faut consommer moins d’énergie ou parce qu’elles sont représentatives d’un système qu’on aime ou qu’on n’aime pas.  On veut les remplacer avant tout parce qu’elles sont fortement émettrices de gaz à effet de serre. La sobriété ou un changement de système peuvent être des objectifs, ils le sont pour certains d’entre nous, mais ils ne sont pas les objectifs de la transition énergétique. L’objectif de la transition énergétique est de mettre fin aux émissions de gaz à effet de serre en moins de trente ans.

La première incertitude est celle-ci : allons-nous parvenir à changer 90% de ce sur quoi l’ensemble de nos vies, nos sociétés et nos valeurs reposent en l’espace de moins d’une génération ? Ce seul enjeu est tellement énorme à lui tout seul. Le réussir paraît déjà un objectif tellement inatteignable, qu’il n’est pas raisonnable d’ajouter à cette difficulté des incertitudes supplémentaires, d’autant plus qu’on peut s’en passer.

À titre d’exemples parmi d’autres : 

Dans le scénario N03 de RTE, les importations deviendraient nécessaires pour assurer la sécurité d’approvisionnement durant 3% du temps, ce qui représente plus de 260 heures par an. 260h, soit l’équivalent d’une dizaine de jours au niveau national, dans des circonstances de faibles capacités pilotables, pouvant donc entraîner une rupture d’approvisionnement immédiate. Compter, pour notre approvisionnement électrique 10 jours par an, sur le fait que les pays voisins dans la même situation de tension, voire bien pire, fassent exactement ce qu’ils ont promis de faire, est un pari, et une incertitude majeure. 

Même dans le scénario S3-Nuc de l’ADEME, l’usage de biomasse pour les usages énergétiques est de 380 TWh, soit 33% de plus que le gisement de biomasse totale disponible en France comme la d’ailleurs souligné France Stratégie, dans un contexte où cette hypothèse constitue une clé de réussite ou d’échec du scénario correspondant.

Dans le scénario de Négawatt, les gains nécessaires en efficacité énergétique imposeraient à 90% du parc bâti d’avant 1975 d’atteindre le niveau Bâtiment Basse Consommation, ou équivalent d’ici à 2050. Ce qui signifierait que tous les bâtiments de France soient neufs ou isolés de l’extérieur avec des modifications profondes pour la plupart d’entre eux, alors que cet objectif n’a jamais été évalué par aucune étude scientifique, ni sur l’impact carbone des travaux nécessaires, alors qu’on souhaiterait décarboner l’énergie utilisée.

Ce ne sont que des exemples auxquels on peut ajouter, les paris, fait sur l’hydrogène, sur la sobriété des modes de consommation des Français, sur la disponibilité en matériaux critiques importés de l’extérieur…

Porter la responsabilité de l’avenir de la planète et des populations qui l’habitent n’autorise pas à ajouter de l’incertitude à l’incertitude.

Aux Voix du Nucléaire, citoyens bénévoles, nous avons une conscience tellement aigüe de l’énormité que ce seul enjeu de la transition énergétique représente à lui tout seul que nous avons voulu voir s’il était réaliste de penser le réussir sans faire ces paris géopolitiques, techniques et sociétaux, ces paris sur la comète.

Nous avons voulu voir s’il était possible d’y arriver avec ce dont nous disposions déjà sur le sol français, avec des technologies éprouvées dont nous avions la maîtrise, avec des efforts demandés dans l’urgence à la population, des efforts importants certes. mais qui nous paraissent compatibles avec le maintien de notre système démocratique.

Nous avons voulu voir s’il était possible d’y arriver non seulement jusqu’à 2050 mais aussi au-delà Parce que nous avons une certitude c’est que la vie ne s’arrêtera pas là et que nous avons besoin d’un système durable pour des centaines d’années, pas des vingtaines. Notre scénario TerraWater est le scénario du pessimisme et pourtant ce qu’il démontre est qu’on peut y arriver, en se basant sur ce qui est le plus proche aujourd’hui de ce qu’on peut appeler des certitudes. Ces certitudes dans le contexte climatique et géopolitique quelles sont-elles :

– Que le nucléaire est de loin l’énergie la plus bas carbone de France

– Que la France est le seul pays du G20 à avoir décarboné son système électrique, à base de nucléaire et d’hydroélectricité.

– Qu’il n’existe pas de ville ou de village dans le monde qui bénéficie d’une alimentation électrique fiable en s’appuyant sur du 100% éolienne et solaire. Ces énergies sont précieuses mais elles ne servent pas à ça. Nulle part l’éolien et le solaire ont jamais entraînés seuls la fermeture de centrales gaz ou charbon. On ne sait pas faire et on voudrait faire reposer l’avenir des Français sur l’hypothèse qu’on y arriverait tout d’un coup en 30 ans.

– Que 95% de la chaîne de valeur du nucléaire est présente sur le territoire et que nous en maîtrisons 100%. Que nous avons les compétences, les filières académiques et industriels, les installations, présentent sur le territoire. Nous avons peut-être besoin de reconstruire mais nous n’avons besoin de personne pour le faire.

– Que l’argent que la filière nucléaire nous coute parce qu’elle est en France intégralement ce n’est pas de l’argent que nous dépensons sur les autres c’est de l’argent que nous dépensons sur nous-même. c’est un investissement que nous faisons dans l’avenir. Cela signifie que « mettre tous ses œufs dans le même panier » dans le cas du nucléaire français ce n’est être dépendant, c’est être autonome.

Les incertitudes existent, elles existeront toujours, mais avec des fondamentaux comme ceux-là on a réduit autant d’entre elles que possible. Même avec notre scénario TerraWater de la robustesse et de la résilience, il reste des enjeux.  Ceux que nous partageons tous : les enjeux humains.

Le premier de ces enjeux humains c’est la capacité à faire monter en puissance les compétences nécessaires, à recruter et à former.

Le deuxième c’est la capacité à faire accepter les désavantages qu’invariablement les programmes proposés par tous les scénarios, y compris NégaWatt, ADEME et RTE vont requérir de la part des populations.

Le troisième c’est la capacité à prendre les décisions de politique publique qui doivent l’être et dans les temps. 

À ce stade, ces enjeux humains avec lesquels nous pouvons y arriver sont soumis à deuxième incertitude majeure en plus de l’énormité et de l’ampleur de la transition énergétique. Cette incertitude c’est : est-ce que chacun va prendre ses responsabilités et prendre l’engagement de ne transmettre dans le débat et au public que des informations avérées, des hypothèses validées, des conclusions justes et non biaisées, basées sur la réalité des faits et la science.

Nous sommes tous dans le même bateau, nous avons des décisions importantes à prendre collectivement, il faut que chacun s’engage à ne plus mentir pour que ce débat public serve à quelque chose. »