L’Europe et le nucléaire : épisode 6 – Malte

L’Allemagne, le Luxembourg et l’Autriche forment aujourd’hui le noyau dur, très dur, d’une coalition de pays qui s’apprêtent au niveau de l’Union Européenne, dans le cadre des négociations sur la Taxonomie, à réduire à néant tout espoir pour un pays non nucléarisé, et à la surface financière limitée, de recourir à l’énergie nucléaire le jour où il deviendra impossible de fermer les yeux sur la réalité énergétique qui est la nôtre : sans capacité hydraulique, le nucléaire est la seule solution viable dans le temps pour alimenter un réseau électrique. Mais ces trois pays ne s’en préoccupent guère. Ils ont des capacités existantes nucléaires ou hydrauliques et/ou beaucoup de moyens et surtout sont positionnés au centre de la plaque électrique continentale européenne. Autrement dit, ils trouveront toujours le moyen de bénéficier de la générosité, spontanée ou non, des autres. 
 
Ce n’est pas le cas de Malte. Malte tient les portes de l’Union, elle superpose sur son sol 4000 ans d’histoire, une population à l’héritage et à la culture unique dans un cadre naturel qui en fait un des joyaux de la Méditerranée. Mais Malte a peu de place, peu de temps, moins de moyens que la plupart des autres Etats Membres. Si elle fait partie de l’Union Européenne, elle en est géographiquement l’état le plus éloigné. Si elle décide de faire un jour le choix du nucléaire, elle fera partie de ceux qui auront le plus besoin de son aide.
 
Alors que faisons-nous, nous citoyens européens ? Quels engagements prenons-nous les uns envers les autres ? Celui de s’entraider, celui de garantir par nos actions que nous ne venons pas au détriment des uns et des autres, celui d’être plus fort ensemble que nous ne le serions seuls ? Ne serait-ce pas là une partie des engagements qui vont avec l’adhésion ? Que l’on soit parmi les premiers états fondateurs ou parmi les plus récemment intronisés ? Les « anciens » n’ont-ils pas une responsabilité vis-à-vis des nouveaux, ne serait-ce que celle de l’exemple ?
 
Nous avons choisi d’être des citoyens de l’Union Européenne aussi parce que nous partageons une de ses valeurs cardinales : la solidarité. Nous nous tiendrons donc en solidarité avec les maltais et nous agirons pour que le choix leur soit laissé de leur avenir, qu’ils ne soient pas privés d’une option que d’autres se gardent : l’accès à l’énergie nucléaire, qui pourra un jour signifier la survie, ou le déclin, pour cette nation qui a « fait » l’Europe depuis bien plus longtemps que celle-ci existe formellement.

 

Malte : petite île, grand potentiel

Par Matthew Curmi 

Matthew Curmi est le représentant maltais des Voix du Nucléaire. Il prépare actuellement une licence en ingénierie mécanique à l’université de Malte.

 

Malte
quelques infos

Malte est un archipel de trois îles, situé dans la mer Méditerranée à 80 km au sud de l’Italie. Avec une population d’environ 515 000 habitants sur une superficie de 316 km2, c’est le 4ème pays souverain le plus densément peuplé au monde.

Malte, la principale île, abrite 400 000 habitants. Environ 95 % de son territoire est considéré comme urbanisé, d’après les données des Nations Unies.

Son climat est typiquement méditerranéen, avec des hivers doux et pluvieux et des étés chauds et secs. Le pays dispose de ce fait de ressources en eau limitées et ne produit qu’environ 20% de ses besoins alimentaires.

Malte n’a pas de sources d’énergie domestiques, mais possède un potentiel en énergie solaire. Pour cette raison, le développement industriel est limité, à l’exception du secteur informatique et de quelques industries manufacturières (électronique, agroalimentaire, textile, plastique, cuir…), et Malte a principalement une économie de services (tourisme, finance…).

Malte est devenu membre de l’Union Européenne en 2004 et a rejoint la zone euro en 2008.

La menace d’une impasse énergétique

Peut-être n’avez-vous jamais entendu parler de Malte, mais c’est qu’il s’agit d’un des plus petits pays de la planète. Si vous voulez vous faire une idée de la taille de ce petit archipel composé de trois iles, allez donc sur Google et comparez la longueur de la piste de l’aéroport avec la superficie de l’ile principale. La géographie a placé ce petit pays indépendant et densément peuplé trop au sud pour être en Europe, mais trop au nord pour être en Afrique. Malte a des ressources naturelles limitées et est très dépendante des importations. Elle possède trois usines à osmose inverse pour dessaler l’eau, mais si l’une d’entre elles venait à s’arrêter, les deux autres ne seraient en mesure de fournir de l’eau que pour un mois seulement[1].

Malte fait face à des sécheresses en hiver et à des températures dans les 35 à 40°C en été. Le changement climatique, à Malte, est une réalité que personne ne songe à nier, tant et si bien qu’un sujet de conversation fréquent chez les jeunes de l’ile est celui de l’émigration, non pour des raisons économiques comme ce fut le cas pour leurs grands-parents, mais en tant que réfugiés climatiques.

Malte est un pays de contrastes. Le chômage y est particulièrement bas, mais le travail précaire élevé ; le niveau de vie ne cesse de s’améliorer, mais au prix d’un développement excessif ; les paysages ruraux sont magnifiques mais sont menacés par une sécheresse hivernale de plus en plus récurrente. Les atouts naturels de Malte ont été surexploités, tandis que sa main d’œuvre éduquée et qualifiée répond aux besoins des industries pharmaceutique, des jeux vidéo, des nouvelles technologies et de la recherche. Malte se présente comme une nation développée et solide ; pourtant, lorsque qu’au mois d’août 2021, en pleine canicule à 39°C, la demande en énergie est montée à 561 MW, l’ile tout entière a vécu une coupure massive d’électricité, et les maltais ont dormi dans leurs voitures.

« D’autres pays plus vastes peuvent compenser la faible densité des renouvelables en y consacrant de plus grandes surfaces, à Malte ce n’est pas possible »

Comme tous les pays de l’UE, Malte s’était engagée à atteindre une part de production d’électricité d’origine renouvelable de 10 % d’ici 2020. Ce chiffre a été revu à la baisse à la suite d’une négociation conflictuelle avec l’UE mais cependant, Malte n’a toujours pas atteint l’objectif. C’est vers septembre 2019 que je me suis inquiété des mauvaises performances de mon pays. Tout en m’apprêtant à démarrer un cursus d’ingénierie, j’ai commencé à calculer la quantité de panneaux photovoltaïques nécessaires pour répondre aux projections de besoins en électricité, puis j’en ai fait autant avec les éoliennes. Pour la communauté de l’ingénierie nucléaire, cela ne sera pas une surprise – l’énergie nucléaire est à forte densité énergétique, ce qui n’est le cas ni de l’éolien ni du solaire. D’autres pays plus vastes peuvent compenser cela en consacrant de plus grandes surfaces aux énergies renouvelables, mais à Malte ce n’est pas possible.

« Le tout solaire et éolien ne sont tout simplement pas une option pour les îles maltaises »

Comparaison Gozo

Il y a, à Malte, l’ambition, infondée mais partagée par les politiciens de tous les bords, d’aller vers le 100% renouvelable. Les maltais pensent que la solution aux problèmes climatiques de leur pays est de faire grimper les 10% d’énergie renouvelable, finalement atteints en 2021, jusqu’à 100%. L’île s’oriente vers un scénario classique où le gaz naturel liquéfié (GNL) constitue l’énergie de base. Mais là se vérifie le phénomène connu sous le nom de « courbe en forme de canard [2]», surtout en été, et cela exacerbe la dépendance de Malte vis-à-vis du GNL et de l’interconnexion.

« Les panneaux solaires atteignent leur pic de production aux heures de faible demande et ne fournissent plus d’énergie le soir, lorsque la demande monte en flèche. Cette intermittence ne peut être compensée que par une source d’énergie flexible, telle que le gaz naturel liquéfié »

Ce n’est donc pas une surprise si en 2015, la centrale au fioul lourd de Delimara a été convertie en une centrale au GNL. Dans le même temps, le recours à l’interconnexion avec le réseau européen s’est accru rapidement – ​​au point qu’une deuxième connexion est actuellement en construction. L’autre démonstrateur de l’insuffisance des énergies renouvelables à l’approvisionnement des îles maltaises, c’est que tous les toits accessibles y sont déjà recouverts de panneaux solaires et qu’il reste cependant nécessaire de construire des fermes solaires en dehors des zones de développement.

Malte, bientôt pays nucléaire ?

Jusqu’à présent, l’idée que l’énergie nucléaire puisse constituer une solution énergétique robuste pour Malte n’a pas été prise au sérieux. L’absence de culture scientifique dans le grand public est notable, notamment en matière d’énergie nucléaire. Le public maltais adopte notoirement une posture, par défaut, anti-nucléaire, ce qui ne l’empêche pas d’engager volontiers une conversation à ce sujet. S’inquiéter de la sûreté nucléaire et du combustible usé est parfaitement compréhensible, mais lorsque les faits scientifiques sont présentés, l’inquiétude fait place au soulagement.

Comparaison Gozo


Hier, aujourd’hui ou demain, l’énergie nucléaire est sûre. C’est un peu comme voler dans un avion de ligne : la perspective semble risquée – littéralement, c’est voler dans les airs dans un conteneur – mais en réalité, les avions de ligne sont le mode de transport le plus sûr. Il importe de dissiper la confusion entre risque et danger. Le risque est toujours présent et peut être quantifié ; le danger est le résultat d’une négligence. Le meilleur gage que je peux donner de ma confiance en l’énergie nucléaire est de promouvoir une technologie qui pourrait être installée à quelques kilomètres de chez moi. En effet, si dans les grands pays la fameuse expression « pas dans mon jardin » s’emploie en général de manière métaphorique, dans une petite île comme Malte elle prend un sens très littéral.

Avec la perspective des SMR, il sera bientôt possible d’adapter une flotte de réacteurs nucléaires dans une zone de la taille d’un petit stade de sport.

Comparaison Gozo

« Le petit réacteur modulaire, ou SMR, semble en effet de loin la meilleure solution nucléaire pour les îles maltaises »

Il ne s’agit pas d’une technologie futuriste étrangère, mais d’une technologie existante et déjà appliquée, qui alimente les porte-avions, les brise-glaces et les sous-marins. J’ai un jour plaisanté avec mon professeur de physique sur la possibilité de connecter quelques porte-avions de type Nimitz au réseau électrique de Malte. L’idée peut paraitre absurde, mais cela fonctionnerait réellement – en pratique trois porte-avions seraient nécessaires. Le SMR offre une source d’énergie propre et sûre qui peut être facilement activée et désactivée pour tenir compte des fluctuations de la demande.

Finalement, un aspect à ne pas oublier est l’accès à l’eau. L’eau est rare à Malte, comme le laisse prévoir son paysage aride. Malte dépend fortement des usines d’osmose inverse pour le dessalement, et de ses aquifères d’eau douce qui s’épuisent rapidement. L’énergie nucléaire peut donc non seulement répondre aux besoins énergétiques du pays, mais aussi alimenter les installations de dessalement.

Regarder la réalité en face et trouver des solutions rationnelles

L’espoir n’a jamais été autant placé dans une amélioration des technologies renouvelables à Malte, mais cet espoir reflète davantage une situation désespérée que l’ambition d’arriver à la décarbonation. L’Union Européenne dépense actuellement des milliards pour essayer de résoudre les problèmes d’intermittence, de longévité et de densité énergétique inhérents aux énergies renouvelables. Cependant, l’objectif de tout ingénieur est avant tout d’éviter l’émergence d’un problème plutôt que d’essayer de le résoudre. À cet égard, les énergies renouvelables sont en échec et s’attaquer au problème du changement climatique avec une technologie défaillante nous renvoie constamment à la case départ. Il faut investir dans des idées qui fonctionnent et par la même occasion, retirer des financements aux projets qui ne fonctionnent pas.

Le problème est que les énergies renouvelables donnent aux maltais un sentiment d’espoir – celui que, le jour où la situation se détériora vraiment, il sera possible de réaliser la transition immédiatement et en toute sécurité. Mais la physique nous enseigne déjà que cet espoir sera déçu : comment produire de l’acier ? Comment se procurer du lithium, du béton, du silicium et de l’aluminium en quantité suffisante ? Comment réaliser tout cela sans relâcher un seul gramme de carbone dans l’atmosphère ? Aucun chiffre sur une feuille de calcul ne résoudra le changement climatique. Rien n’est gratuit.

A l’heure actuelle à Malte, les deux partis politiques majeurs expriment leur soutien en faveur de l’éolien offshore et d’investissements accrus dans l’énergie solaire. La seule suggestion de mettre en œuvre l’énergie nucléaire est rejetée d’emblée. Pourtant, l’énergie nucléaire n’est pas une source d’énergie prestigieuse réservée aux seuls grands pays, elle peut être également un catalyseur de croissance économique et d’amélioration du niveau de vie pour les petits pays. Il serait regrettable de se priver de tels avantages pour des raisons non rationnelles. D’autant plus que ce serait laisser passer ce qui est peut-être notre dernière chance de sauver notre planète, et cela…, cela serait désastreux.

Références :

[1] https://timesofmalta.com/articles/view/enough-water-to-cope-for-a-month-in-case-of-emergency.670887

[2] La courbe, dite « en forme de canard » (duck curve en anglais) est un graphe représentant, sur une journée entière, la différence entre la demande en énergie et la quantité d’énergie solaire disponible. Elle fait ressortir le déséquilibre temporel entre l’offre d’énergie renouvelable et le pic de la demande.