La propulsion navale nucléaire

Utilisation de réacteurs nucléaires embarqués pour réduire les émissions de gaz à effet de serre dans le transport maritime

Les réacteurs nucléaires embarqués pourraient servir à décarboner le transport marin, aujourd’hui responsable de près entre 4 et 6% des émissions mondiales de gaz à effet de serre et d’une pollution de l’air considérable.

La propulsion navale nucléaire consiste à équiper des navires de réacteurs dits « embarqués ». Il s’agit presque exclusivement de réacteur à eau pressurisée, ces derniers permettant de développer une grande puissance sans occuper un espace important – une qualité cruciale dans un bateau. De fait, le premier réacteur à eau pressurisée à fonctionner, au début des années 1950, a été conçu pour un sous-marin aux Etats-Unis, avant que la technologie ne soit transmise au civil dans le cadre du programme Atoms for Peace (des atomes pour la paix).

Cette technologie est adaptée à la fois aux sous-marins et aux navires de surface. Le ou les réacteurs embarqués sont confinés dans des enceintes spécialement sécurisées. Ils alimentent en vapeur une turbine et l’énergie mécanique de la turbine fait tourner les pales de l’hélice du navire :

  • soit de façon directe par l’intermédiaire d’un réducteur (propulsion turbo-mécanique)
  • soit par l’intermédiaire d’une installation électrique qui alimente tout le bâtiment (propulsion turboélectrique).

Les réacteurs embarqués fonctionnent grâce à de l’oxyde d’uranium enrichi. Le niveau d’enrichissement a toutefois décru à mesure d’avancées techniques, partant de 80 à 95 % pour atteindre 6% en France [1], pays à la pointe de cette technologie.

Les avantages et obstacles de la propulsion navale nucléaire

Embarquer un système aussi complexe à bord d’un navire peut laisser perplexe. Pourtant, il présente un certain nombre d’avantages :

  • Le réacteur nucléaire assure une très grande autonomie au bâtiment. De fait, ce dernier peut fonctionner des années avec le même cœur combustible. Au point que les sous-marins nucléaires n’ont pas besoin d’être rechargés en combustible tout au long de leur durée de vie (25 ans) ;
  • Un réacteur nucléaire permet de développer une puissance considérable, permettant par exemple d’accroître la vitesse du navire. Une qualité notamment mise en application dans un brise-glace ;
  • La place plutôt restreinte occupée par les réacteurs embarqués et l’absence de combustible libèrent un espace accru pour la cargaison, ce qui présente un intérêt conséquent pour la marine marchande et les porte-avions ;
  • Ce mode de propulsion ne consomme pas d’oxygène. Il s’agit d’un atout considérable pour les sous-marins, qui doivent rester le plus longtemps possible en immersion. Il est même possible de fabriquer de l’oxygène pour l’équipage grâce à la production électrique du réacteur ;
  • Enfin, un réacteur permet d’éliminer les émissions de gaz à effet de serre et de particules fines d’un système de propulsion classique. Cet avantage est considérable, quand on sait que l’ensemble du parc maritime émet près de 932 millions de tonnes de CO2 en un an [2] soit entre 4 à 6 % des émissions mondiales selon l’année de référence [3].

Environ 400 navires à propulsion nucléaire. La plupart sont des bâtiments militaires – depuis 2001, tous les sous-marins français fonctionnent par exemple grâce à l’énergie nucléaire. Ce mode de propulsion est toutefois plus rare dans la marine civile – il concerne principalement des brise-glaces russes à ce jour, malgré des prototypes de cargos nucléaires menés par les Etats-Unis, l’Allemagne et le Japon. Cela s’explique en premier lieu par la dimension politique du nucléaire (sa perception par le grand public est aujourd’hui encore assez négative).

L’obstacle économique constitue également une difficulté importante. La propulsion navale nucléaire requiert en effet le développement d’un grand nombre de matériels annexes : outillages, machines de chargement et de rechargement, centre de traitement des réacteurs après leur mise hors service… Les coûts sont également augmentés par les exigences de sûreté de ces réacteurs et la disponibilité d’un équipage compétent – la relative rareté du personnel naval formé au nucléaire devrait toutefois se corriger d’elle même si la technologie est plus largement adoptée.

Enfin, le dernier inconvénient majeur des réacteurs embarqués est l’accueil portuaire. Certaines villes refusent en effet d’accueillir des navires équipés de réacteurs nucléaires qui sont assimilés à des transporteurs des matières dangereuses. Il faut toutefois relativiser cette contrainte : l’autonomie que confère l’énergie nucléaire permet à un bâtiment de s’exonérer d’escales facilement, et les grandes routes maritimes leurs sont toutes ouvertes.

Aucun de ces obstacles n’est toutefois incontournable avec un soutien à la filière des pouvoirs publics (notamment pour organiser la formation en amont). Aussi, le seul véritable obstacle à l’essor de la proportion navale civile est aujourd’hui la volonté politique de porter un tel projet. A mesure que les ressources de pétrole se réduisent et que la prise de conscience de l’urgence climatique se renforce et que des taxes carbones à l’import apparaissent, peut-être que les réacteurs embarqués connaîtront leur heure de gloire.

[1] Institut français de la mer – La propulsion nucléaire civile

[2] ICCT (2017)

[3] NEI – Propelling decarbonisation report